

INNOVATION ET RUPTURE
Présentation aux ISEP Alumni 24 janvier 2017
Jacques Bongrand, Ingénieurs et Scientifiques de France
Plan de la présentation
- Innovation, rupture, économie, défense
- Une réflexion tirée du domaine de l’armement
- L’étude menée: freins, exemples à suivre et recommandations
- Application à la rénovation industrielle
- Suite au rapport
- Deux expériences concrètes de stimulation de l’innovation industrielle
- L’ Agence de l’innovation industrielle
- L’ Agence de mobilisation économique en Lorraine
- Quelques remarques en conclusion
Innovation, rupture, économie, défense
- De tout temps, la préparation de la défense a été une course à la surprise et à l’innovation. Aujourd’hui le salut économique est recherché par l’innovation.
- En économie, on distingue communément cinq types de nouveautés, radicales ou progressives: produits, procédés, marchés, sources d’approvisionnement, organisation.
- Il est proposé ici de définir l’innovation de rupture par ses effets: modification des usages (et des concepts opérationnels, du modèle économique de l’entreprise) par opposition aux innovations incrémentales, surtout sous-tendues par des progrès techniques.
L’évolution du monde impose un effort accru d’innovation de rupture, pour la défense comme pour l’économie:
La France n’est plus dans une position de supériorité opérationnelle ou industrielle (contraintes budgétaires, concurrences émergentes).
Les idées nouvelles prolifèrent, favorisées par la diffusion accélérée des connaissances.
Une réflexion tirée de l’armement
- Etude menée conjointement par le Conseil général de l’armement et les IESF: « défense et innovation de rupture » (2011-2012).
- Une quinzaine de réunions, au total près de cinquante participants: ingénieurs, officiers, chercheurs, psychologues sociaux…
- Les mécanismes d’innovation dans les programmes d’armement se retrouvent largement dans d’autres secteurs.
Les méthodes actuelles favorisent surtout l’innovation incrémentale et technologique:
- La priorité absolue donnée à la maîtrise des coûts et des délais n’incite pas à la rupture.
- Une expression rationnelle du besoin ne fait pas naturellement émerger des idées de bouleversements d’usages.
- Une organisation optimisée favorise la continuité.
- L’intérêt des experts, la prudence des ingénieurs, le faible droit à l’échec, le souci de cohérence renforcent cette tendance.
Différents exemples d’efforts pour l’innovation de concept et d’usage:
- Aux États-Unis, une réponse riche, la DARPA: effectifs modérés, responsables expérimentés, budget important, autonomie.
- En France, des démarches dédiés à l’innovation de rupture: équipes pluridisciplinaires, travaux individuels ou collaboratifs, engagement des experts…
- Des moyens d’expérimentation ou de simulation. Des fonctionnements en réseau.
Quelques suggestions générales:
- Intégrer l’innovation à un niveau supérieur dans les organisations parce qu’elle conditionne leur survie.
- Pour préparer l’avenir, combiner deux démarches: réflexion sur les usages; recherche et développement.
- Fixer des buts larges et simples, consacrer un budget, du temps, des équipes diversifiées à l’innovation de concept.
- Dans le domaine de l’économie et plus encore de la défense l’État doit se donner les moyens d’ être un moteur de l’innovation (au moins catalyseur, capacité d’évaluation des innovations et intervention pour les faire passer au stade de projets).
Une gestion des ressources humaines qui donne une meilleure place à l’innovation de concept:
- Une formation spécifique (aptitude au travail collaboratif; pour les ingénieurs: former, plutôt que des créatifs, des acteurs aptes à développer l’innovation…).
- Des étapes de carrière centrées sur l’innovation (postes, périodes intermédiaires de recul et de suggestion).
- Une meilleure prise en compte des capacités d’innovation dans les évaluations.
- Une diversité accrue des profils (recrutement à durée limitée de personnalités « originales » dans des services à champ large…).
Proposition phare, une « agence d’anticipation des ruptures de défense » transposée de la DARPA:
Un équilibre entre autonomie et participation aux processus du ministère
- Une mission ambitieuse, mais bien délimitée : produire, évaluer, proposer de nouveaux concepts
- Des réponses aux demandes et des propositions spontanées, des activités partagées entre long terme et court terme
- Un comité d’orientation largement ouvert vers l’extérieur du ministère
Des moyens déduits de l’exemple de la DARPA, en restant réaliste
- Des moyens d’échanges et de simulation
- Un budget d’expertises, d’études et de démonstrations
- Une latitude administrative pour les ressources humaines et les contrats
- Plusieurs niveaux d’ambition possibles
Un constat, convergence des enjeux industriels et de défense:
- La plupart des technologies émergentes ont des applications duales (civiles et militaires).
- De grand pays associent des politiques de renforcement industriel et d’autonomie de défense.
- En France, les deux piliers traditionnels de soutien à l’innovation, financement des recherches et aides aux projets, sont limités par les contraintes budgétaires et la réglementation destinée à préserver la libre concurrence.
Des propositions pour la rénovation industrielle:
- Transposer l’exploration des ruptures de défense à toute l’économie.
- Lancer des concours d’idées récompensés par le financement d’une démonstration, attribuer des bourses pour des périodes sabbatiques en vue de faire émerger des projets.
- Veiller à définir soigneusement la diffusion et la propriété intellectuelle des résultats.
- Faire reconnaître par l’Europe une exception à la libre concurrence pour le maintien des capacités industrielles stratégiques.
Suite au rapport, une tentative d’innovation administrative:
- Intéressé par l’idée de création d’une agence d’anticipation des ruptures en Lorraine, le président de la Région la propose aux autorités de l’Etat.
- Présentation à de nombreux interlocuteurs parisiens ou lorrains: réactions souvent favorables, certaines réserves sur la création d’une agence, questions du porteur et du financement du projet, idée d’une mission de préfiguration.
- A ce jour pas de débouché direct, deux actions dérivées: une convention entre Lorraine et DGA (Direction générale de l’armement) , un séminaire organisé par France Stratégie.
L’ Agence de l’innovation industrielle
Une création ambitieuse:
- Suite au rapport « pour une nouvelle politique industrielle » remis au Président de la République (Jean-Louis Beffa, janvier 2005).
- Un objectif: développer l’industrie française dans des secteurs de haute technologie, en suivant l’exemple de réussites telles qu’Airbus, Ariane, les centrales nucléaires.
- Un principe: susciter et soutenir des « programmes mobilisateurs pour l’innovation industrielle », coopérations entre des entreprises et des laboratoires conduites par des industriels, pour mettre sur le marché européen et mondial des produits nouveaux fortement innovants.
Une existence brève, des moyens importants:
- Etablissement public créé par décret présidentiel d’août 2005, fusionné avec Oseo fin décembre 2007.
- Le conseil de surveillance (7 ministres représentés, 13 personnalités qualifiées) décide les financements.
- Le directoire (3 membres) propose les financements et gère les programmes. Son président signe les conventions et transmet au ministère de l’industrie les informations nécessaires aux notifications à la Commission européenne.
- La Caisse des dépôts et consignations assure un support administratif sous l’autorité du directoire.
- Dotation reçue: 2 Md €. Effectif mi 2007: 25.
Des procédures précises:
- Respecter l’encadrement européen des aides d’Etat:
- Intérêt général, défaillance de marché, incitation;
- Plafonds d’intensité des aides suivant nature des travaux, acteurs, coopérations;
- Examen approfondi des projets importants.
- Une succession d’étapes:
- Présentation orale pour vérifier l’éligibilité, dossier;
- Instruction, décision du conseil de surveillance;
- Notification à la Commission européenne, convention (subventions, avances remboursables).
Un premier bilan:
- Fin 2007, 18 programmes approuvés, 17 dossiers de notification envoyés vers la Commission européenne (1 en dessous du seuil), 6 validés (les autres le seront en 2008 à une exception près: projet abandonné par le porteur).
- Pour les 16 premiers programmes:
- Dépenses prévues: 2 466 M€; aides: 904 M€ ; durée R&D: 3 à 10 ans.
- Emplois estimés: R&D 4 060 dont 1 940 nouveaux; production 18 000 directs + 21 000 induits.
- Chefs de file: 9 grandes entreprises (dont 5 du CAC 40 et 1 filiale d’un groupe allemand).
- Organismes aidés: 42 grandes entreprises, 34 entreprises intermédiaires, 50 PME, 60 laboratoires ou établissements publics.
Des innovations multiples, des secteurs variés:
- Santé: médecine personnalisée, imagerie (IRM haut champ).
- Chimie verte et matériaux: production écologique de polymères, biocarburants, aliments… matériaux nanostructurés; substrats pour composants électroniques.
- Energie et transports: bâtiment à énergie contrôlée; métro automatique; solutions de motorisation; filière hydrogène; composites pour les transports;
- Information et communication: traitement automatique ou sécurisé des contenus multimédias, télévision sur mobile, microcaméras.
L’ Agence de mobilisation économique
Une transposition régionale, en Lorraine, de l’Agence de l’innovation industrielle:
- Une mission de base voisine: détecter et soutenir des programmes de R&D collaboratifs associant entreprises et laboratoires, pour faire émerger des filières d’avenir.
- Une ampleur plus réduite: investissement dépassant 1 M€, création d’un nouveau produit ou service en 2 à 5 ans.
- Des moyens en cohérence: 21 M€ annoncés sur 3 ans ; équipe de 5 à 7 personnes.
- Créée en juillet 2009; dispersée en février 2014.
Une intégration dans les services de la Région:
- Initialement destinée à devenir un groupement d’intérêt public, l’AME est restée une mission du Conseil régional.
- Un statut variable dans l’organigramme, le directeur étant toujours nominalement sous l’autorité directe du président de Région.
- Des conventions soumises au vote du Conseil régional et signées par son président. Des procédures budgétaires de droit commun.
Au-delà de la mission de base, une contribution à des actions ambitieuses:
- Accords de coopération avec une université américaine, le ministère de la Défense, un grand industriel.
- Aides à la tentative d’implantation d’un nouveau constructeur aéronautique et à la création d’une usine de production innovante par un grand groupe.
- Accompagnement de l’installation d’une antenne du CEA Tech.
- « Pacte Lorraine » signé en 2013 avec le Premier ministre pour accélérer le développement économique de la Lorraine (dont: « Vallée européenne des matériaux et de l’énergie »).
Un traitement personnalisé des projets:
- Un appel à projets (large) chaque année.
- Proposition initiale sous forme libre et synthétique.
- Première rencontre pour explications directes et recommandations au porteur.
- Dossier complet préparé suivant modèle, à l’initiative du porteur, accompagné par un ingénieur de l’AME. Instruction avec 2 experts extérieurs.
- Rédaction d’une convention (jalons; financement suivant résultats et dépenses constatées); soumission au vote du Conseil régional; signature souvent médiatisée.
Des programmes lancés:
- 1e soutien voté 5 mois après la création. 14 après 4 ans ½.
- Des domaines variés:
- Matériaux avancés (composite, bois): 4 programmes.
- Gestion durable des ressources naturelles (produits d’origine végétale, purification de l’eau, réhabilitation de friches): 5.
- Technologies de la santé (télésanté, capteurs ou instruments): 4.
- Recherche intelligente de données: 1.
- 32 M€ de soutiens (Région + complément européen) visant 170 emplois immédiatement créés + 650 à terme.
- Près de 40 entreprises (souvent petites) et 30 centres de recherche concernés.
Pour les premiers programmes, après 2 à 3 ans de travaux:
- Des succès: découvertes, réalisation expérimentale, brevets prévus, communications internationales; un chef de file distingué (2e du secteur biotechnologie/sciences de la vie).
- Des liens créés et des positions renforcées: investissements annoncés sur un site, débouché escompté, coopération interrégionale…
- Des aléas: résultats techniques contrastés conduisant à infléchir un programme, conditions économiques défavorables à la chimie verte (baisse du prix du pétrole).
Quelques remarques en conclusion
- Des innovations majeures mettent du temps pour déboucher. La persévérance des inventeurs, la stabilité des institutions sont importantes.
- Les usages, les intérêts des acteurs particuliers, peuvent produire des conséquences non rationnelles.
- Le soutien public aux innovations à long terme est nécessaire, mais c’est un prélèvement sur la richesse globale. Donc: limiter, cibler.
- Il entre dans la mission des organismes de soutien d’encourager l’enthousiasme des innovateurs et d’alléger leurs charges administratives.
- « PME de l’administration»: un concept à développer?
