Jean Fonteneau (ISEP 1960)

Le temps retrouvé … Revivre l’émotion des premières heures qua­rante ans après le premier jour est bien, en ef­fet, une sensation toute proustienne ! Quartier et environnement ont d’ailleurs finalement…

Jean Fonteneau

Le temps retrouvé …

Revivre l’émotion des premières heures qua­rante ans après le premier jour est bien, en ef­fet, une sensation toute proustienne ! Quartier et environnement ont d’ailleurs finalement peu changé depuis l’automne 1956, tout au plus les petits rideaux Vichy de Doucet ont-ils disparu, le petit restaurant provincial ayant été remplacé par une brasserie plus populaire, mais toujours « annexe » de la vieille Catho…

Seul Isépien à ce jour devenu directeur de l’École, je risque de le demeurer pendant un bon siècle puisque l’on célèbre le cinquantenaire de ‘école et que tous souhaitent longue vie et carrière à l’actuel titulaire de la fonction ! J’apprécie en tout cas cette chance qui me fut donnée de terminer une longue carrière par un da capo lourdement chargé d’émotion. Heureux qui comme Ulysse : rien de tel que la vieille rue d’Assas et le retour à l’alma mater pour oublier 128 et Silicon Valley et ne plus les regretter.

C’est presque fortuitement que j’avais appris la crise de quarantaine que l’ISEP traversait alors. L’abbé Vieillard, rencontré par hasard, m’avait demandé en toute éventualité si je pouvais connaître un candidat à la di­rection de l’école, m’informant ainsi de sa vacance. Réfléchissant au profil souhaitable, j’appris par ailleurs la venue programmée d’un nouveau Pré­sident que je connaissais et appréciais. La nomination de Jacques Imbert préludant plus que probablement à un sérieux et nécessaire aggiornamento, je décidais, sur l’avis de l’abbé (« qui ne trouvait pas çà idiot… ») d’adresser mon résumé au Recteur Patrick Valdrini.

Tout allait ensuite se décider très vite.

Directeur in partibus de mai 1995 jusqu’au départ officiel d’un prédécesseur avec qui je souhaitais garder d’excellentes relations amicales, j’allais être “intronisé” à la rentrée, avec des objectifs et un programme peaufinés en connivence durant l’été avec le nouveau président.

La tâche n’était pas mince à vrai dire, ce que mon prédécesseur, du reste avait bien perçu …

Au fil des ans, l’École s’était en effet quelque peu inspirée de la France d’avant Louis XI, délégation et… autonomie s’y étant graduellement con­fondues. L’ineffable bureau de l’un des cadres du laboratoire, jamais ran­gé depuis des lustres, illustrait une sympathique « organisation » en un large et vague super-râteau, mal venue en des temps nouveaux difficiles impliquant ordre et méthode…

Plus inquiétant : la désaffection des étudiants pour l’option informati­que, alors sur le point de fermer faute de combattants, l’absence de comp­tabilité analytique, de tableau de bord fiable, et… l’état des finances surtout…

Bref, il y avait beaucoup à faire ; la première étape étant que chacun en prenne conscience, la chose fut réalisée à l’occasion d’un séminaire à cer­tains égards historique, semblable initiative n’ayant en effet encore jamais eu lieu.

Avec un très large consensus une organisation par départements et la gestion budgétaire subséquente furent ainsi progressivement mises en place, telles que la connaissent la plupart sinon la totalité des établisse­ments d’enseignement supérieur… et toutes les entreprises.

Le Conseil de Perfectionnement, organisme sympathique et dynami­que qui nous apporta beaucoup pendant l’exécution de mon mandat, était ressuscité par ailleurs, alors que le Conseil d’Administration rajeunissait avec l’arrivée d’anciens collègues dirigeants expérimentés et pénétrés de la vie active.

L’entente Président-Directeur fut totale sur ces deux points, le premier prenant par ailleurs en main ès qualité la révision des statuts, rendue in­dispensable par le contexte politique et fiscal.

La nomination de Michel Ciazynski à la direction des études allait per­mettre des évolutions en profondeur : redéfinition des options, réforme du concours ingénieur, élargissement des partenariats avec les écoles de la FESIC (étendus de l’ISEN à l’ESEO, à CPE…), bien d’autres « chantiers » parmi lesquels le développement des relations interna­tionales est à souligner particulièrement. Pour la première fois, un professeur et responsable de département n’allait-il pas partir enseigner plusieurs mois à Stanford ? Il est vrai que ce n’était pas le plus médiocre…

Parallèlement, le lancement et la direction du CFA « ISEP Entreprises » étaient confiés à Jean-Pierre Jourdan, promoteur et innovateur en ce do­maine.

Il convient de mentionner à part cette « opération apprentissage », qui fit de l’ISEP une école pionnière, dans le « sens de l’histoire » autant qu’à contre-courant d’oppositions allant parfois de l’émotionnel au viscéral !

Le dossier avait été préparé avec une énergie et une conviction remarquables tant par Jean-Pierre Jourdan que par Claude Meynard mais il restait à le promouvoir, à l’extérieur et à l’intérieur, et… à le mettre en musique. Je garde le souvenir stressant de cette matinée où Claude Mey­nard et moi-même allâmes défendre nos couleurs à la Commission des Ti­tres, la séance commençant par deux heures d’attente dans les ténèbres extérieures, sans même une chaise pour s’y asseoir.

Claude Meynard fut brillant, et nous eûmes toutes raisons de nous ré­jouir en apprenant notre « score », un vote quasi unanime. De retour fort tard, je me souviens aussi de la bouteille de champagne préparée au se­crétariat par Martine Ruquet, anticipant le succès de l’Isep. Elle fut savourée de bon coeur.

Une ère nouvelle s’ouvrit alors pour l’école, je le pense sincèrement. Encore aujourd’hui je me surprends quelquefois à reprendre avec passion mon véhément plaidoyer de l’époque auprès d’esprits chagrins pour qui le vocable apprentissage conserve encore une connotation d’un siècle deux fois passé… L’un de mes arguments favoris et difficilement contournable : « préférez-vous être soigné par un « simple » médecin, ou par un ancien interne des hôpitaux ? » avait subitement convaincu l’un des mes prestigieux collègues, directeur d’une « très » grande école, à l’is­sue d’un déjeuner il est vrai !

Déjeuners, « public relations », visites, il en fallait, il en a fallu beaucoup, après des années de timidité… Pour vivre heureuse une gran­de école comme l’ISEP ne doit pas vivre cachée…

Là encore les choses allèrent vite, et… plutôt bien, à tel point que le septennat initialement envisagé pouvait devenir un quinquennat, suivant ce principe appris de mes patrons Californiens adeptes de l’egoless management : « dès que vous avez pris un poste, trouvez votre successeur et préparez-le ! »

Les événements avaient démontré que la fonction de directeur d’une école comme l’ISEP ne saurait être confiée « par défaut », et exige une vraie expérience professionnelle en entreprise autant qu’une bonne con­naissance « de l’intérieur ».

L’idéal était de toute évidence une promotion interne, et je sais gré au président Imbert d’avoir accepté d’emblée de soutenir cette proposition auprès du Conseil. J’étais décidé à annoncer une bonne année à l’avance tant mon départ que le nom de mon successeur, ce qui ne « se fait pas », paraît-il, dans les entreprises françaises et cela suscita une surprise géné­rale parfois réprobatrice. Je n’ai eu pourtant qu’à me féliciter de cette dé­cision. Outre l’avantage du non-retour, elle a permis une vraie période de double-commande, de délégation authentique, qui demeure pour moi un excellent souvenir ; je crois qu’elle fut appréciée par l’actuel directeur de l’École.

Je pense lui avoir laissé, à l’aube du troisième millénaire, un établisse­ment dynamique où certes il y avait encore beaucoup à faire, mais n’est-ce pas ce qu’au fond il espérait ? … Reste la nostalgie de ces quelques an­nées si vite passées et d’un départ difficile… De ce contact avec une jeunes­se passionnante, d’autant plus amical qu’établi entre jeunes camarades et « grand ancien »… Le moment est venu de l’avouer : les jeunes Isépiens d’aujourd’hui sont à bien des égards meilleurs que nous ne l’avons été !

La sympathique allocution du Recteur à mon pot de départ demeure en ma mémoire… Ce n’était pas seulement une page qui se tournait mais un livre qui se fermait sur un chaleureux épilogue.

Bien trop frustré par des interférences diverses pour souhaiter en pro­voquer à mon tour, je ne suis pas retourné rue d’Assas depuis, me réser­vant d’être présent auprès de tous les amis de l’ISEP pour fêter son demi-siècle.

Avec joie…

Jean Fonteneau, avril 2005
Les 50 ans de l’ISEP